LA NUIT...

Publié le par Nawa

J'ai écrit le texte qui suit pour une spéciale nuit off de radio libertaire : la nuit des mots (sur le thème de...la nuit)  A l'occasion du salon du livre libertaire, radio libertaire nous donne une fois de plus la parole. Ce texte sera lu dans la nuit de samedi à dimanche et projeté au cours du salon.

NUIT NOIRE

Ce n’est pas tellement la nuit, c'est qu'il n'y a plus de jour. Celui-ci demande un levé qui s'espère, un couché qui se rêve, quand la nuit ne fait que tomber. Inlassablement elle tombe laissant dans sa chute quelques étoiles au plafond. Elles serviront bien l'illusion, l'éphémère lumière, la lueur d'espoir accrochées tout la haut dans l'inaccessible, le supposé, l'inavoué.

Mais c'est en bas que ça se passe, sous les yeux de ce luxe hasardeux. La pénombre lui fait cadeau d'une silhouette frêle, fragile, un combattant de la mort subite, le pas tragique. Il déambule, avance, titubant dans le noir, traçant son chemin dans le sens insensé de ses sens. Il entend les bombes, s'en écarte d'un pas vers la gauche. Il touche les larmes s'en détache d'un pas vers la droite. Il sent les rires et avance de 3 pas, il goûte la mort, recule de 4. C'est aux sons, aux odeurs, aux touchés, aux saveurs que la route se chemine sur l'écran noir.

Pour l'aider : une canne. Elle le devance fièrement, assez soumise pour prendre les coups, pour avouer, pour dénoncer. L'oeil est à son bout. Il le promène, impudique, le heurte sur des morts inutiles, des ventres affamés, des gorges desséchées, des espoirs mutilés, des nuits terminées. Mais ça va. Le bout de la canne est à bonne distance du coeur, lui-même à bonne distance de la conscience. Ca ne le gène que dans sa rectitude, l'obligeant aux pitoyables pas chassés fuyant le chasseur, l'inadvertance du pas dans le caniveau, du pied dans la merde. Sa suffisance servira de paillasson, un de ceux qui vous souhaite la bienvenue. Il essuiera les horreurs collées sous ses semelles, remerciera sa canne de si bien légitimer sa passivité. Il s'appuiera alors sur le prochain réverbère impuissant de lumière, bétonné là comme urinoirs canins, c'est interdit aux humains. Dans la nuit, sous la lumière blafarde, il y placera 35h pour une famille, 2 PEL et 3 SICAV. Il entrera, les pieds propres, la canne devant, dans la normalité lumineuse opaque aux différences. Il fabriquera son jour dans cette nuit éternelle. Il aura l'impression d'y voir cet aveugle cruel. Avec la fatalité pour canne et la cécité comme aveu, pouvait-il rêver mieux ?

L'Homme n'avait qu'à regarder les étoiles, jeter sa tête au ciel, sentir l'étincellement, l'impossible millénaire. Elles lui auraient indiqué sa place dans l'éclair, dans le coup de foudre entre lui et la terre. Elles lui auraient enseigné sa matière, une vulgaire poussière. Elles lui auraient infligé l'humilité et cette conscience d'exister dans l'infiniment petit du temps, pour un été, un jour, une nuit.

Mais cet homme chaloupant, aveugle par nécessité, n'a trouvé de vision que dans ce qu'il avait. Abandonnant son courage dans la peur de perdre, il est bouffé par la gangrène de vouloir tout gagner. Il aurait pu voir le jour, mais c'est la nuit que les rats dansent.

 


Merci à Laurent Nicolas pour cet espace libre d'expressions...

Publié dans RG

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L
Je précise que l'initiative est de nathalie de l'émission muzar c'est nous qui te remercions de ta participation et pour la qualité de ton texte dont pas mal de phrases on été en effet projetées durant le salon du livre...  Mais une suite de cette nuit est en reflexion donc : à suivre...
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A
Janis Joplin, droguée, alcoolique et géniale.....magnifique version de Summertime.
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