UNE TRAVERSEE...

Publié le par Nawa

Dépêche AFP. Aujourd'hui.
Incendie dans un centre de rétention. On ignore encore les causes de l'incendie.


6 Jours. 6 jours recroquevillés entre 100 corps, des fourmis dans tout le sien, impossible de bouger, juste bon à respirer. 6 jours au bord de la mort, 6 jours pour la repousser. 6 jours à survivre grâce aux visages tant aimés et qui pourtant, dans cet espoir inconscient, ont tant de mal à se dessiner. 6 jours à prier un dieu qui pour l'horreur, ne se fait pas prier. 6 jours pour traverser, 6 jours pour pas crever.
Sur son lit 1 place, fumant la clope du condamné, il revit sa traversé. Il avait 17 ans et rien à manger. Il avait 17 ans, rien pour exister. Il avait 17 ans quand sa petite soeur est morte de diarhée. Ca faisait 17 ans que l'autre monde l'appelait. Ce monde de lumières, d'espoir, de vivres et de rires. Ce monde où tu peux gagner ta vie avant de la perdre. Ce monde de colons fortunés qui savent même soigner. Ce monde tant vanté pour qui il vend sa dignité. Ce monde inscrit sur un t-shirt récupéré, "just do it", c'était pourtant marqué.
Au village on vendît tout, même un enfant pour envoyer le grand sur un radeau de fortune pour passeurs des ténèbres. Faut dire que quand la vie ne vous conçoit pas même l'espoir d'un aujourd'hui, on apprend le sens du sacrifice.
Le plus dur a été d'oser monter, de valider son ticket pour la mort. Mais c'est bon, une fois calé, on peut trembler. Il eu pour la première fois de la chance. La nature l'a doté d'un physique résistant, comme une ironie à supporter l'invivable. Et des requins, il n'avait vu que ceux qui avaient pris son argent, juste avant.
Tirant sur sa cigarette, l'odeur de la peur lui brule encore les narines. Vient après celle de la mort, de la pourriture de chair séchant au soleil. Celle là est plus délicate à sentir, elle induit l'idée que la souffrance a peut-être une fin.
Dans l'expiration de sa fumée, il revit sa joie de débarquer sur la rive d'une autre vie. Il sortit son seul bagage qui tenait dans sa chaussure, un papier froissé, une adresse de départ, un sans espoir de son pays promu sans papier dans un autre. Il allait lui mettre le pied à l'étrier pour chevaucher en parfait destrier la bête immonde de la clandestinité. Peu importe, la bête à ses yeux à la beauté de la licorne.
Et c'est fier comme d'artagnan, la vie entre les dents, les tripes à même l'espoir, qu'il est parti s'user les mains dans les sous sols des restaurants, lavant des assiettes pleines de restes laissés là par trop d'habitude à manger. D'autres fois s'était son dos qu'il soudoyait au diable pour construire des maisons qu'il n'habitera jamais. 10 ans à faire le travail du noir, au noir, dans le noir. 10 ans à accepter la tache, mais ça ne suffit pas, c'est encore sur lui qu'on crache. 10 ans à travailler pour la France, cette femme indélicate qui se fait payer à l'heure, une pute républicaine qu'il prenait pour une princesse. Mais si son pays lui avait donné la vie, la france lui donner la possibilité d'en disposer. Et même si le sang de sa terre natale coule encore sur la devise republicaine il avait tant d'espoir à panser un peu la plaie. "Liberté, égalité, fraternité", c'est ce que la france lui avait volé, et au bout de sa traversée c'est ce qu'il aurait du avoir, en plus d'une raison de pardonner.
Qu'importe ! elle restait la mère patrie de sa terre partie, une mère nourrissière pour ses soeurs et son père. Il avait décidé de l'aimer, lui, qu'elle appelait "étranger".Il voulait être citoyen mais elle ne veut que des patriotes.
Il inspire sa dernière bouffée, écrase sa cigarette. Au fond du cendrier s'évapore les restes d'espoir d'un enfant renié. Le son de la télé de la pièce commune le sort de ses rêves déshérités. Il entend l'info qui sort du poste, un centre de rétention brule, le ministre de l'immigration accuse les associations de semer la pagaille, qu'il faut être "vigilant" face "aux agissements des groupuscules".
Il se retourne, plonge la tête dans son coussin pour étouffer sa rage. "aux agissements des groupuscules"...Demain il prendra un aller simple, les mains attachées, raccompagné par des flics plus intéressés par les points de bonus air france que par le fait de mener un homme à sa mort. "aux agissements des groupuscules"... demain on l'obligera à quitter un pays qui ne lui reconnait même pas sa capacité à la révolte, à son insoumission à l'injustice.
Après avoir balayé la tristesse pour laisser place à la colère, il se lève de son lit et prend son briquet...

Publié dans RG

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