NECROLOGIE

Publié le par Nawa

Je bosse depuis plus d'un mois maintenant dans mon bled. Une presse/loto/pmu, pas de tabac cette fois. Je vends pas bcp de voici, c'est plutôt tractorama et la veillée des chaumières. Y a pas non plus bcp de lecteurs du figaro, ils s'en tiennent à la dépêche du midi et le canard tous les mercredis. J'y suis 17h/semaine. Une précarité évidente certes. Mais j'y suis bien. 3h par jour je me coupe du monde, les temps anciens m'ouvrent leurs bras. J'assiste en spectatrice assidue à la mort d'une identité entière. Celle de la vie d'une commune qui a refusé la soit disante émancipation moderne. Jusqu'ici ancrée dans sa ruralité, ses propres enfants se hateront à l'urbaniser. Ils n'atttendent que la mort des parents, le mot héritage sur un papier.
Ma patronne est communiste, mon patron un anar qui se renie. 38 ans qu'ils tiennent le magasin. Je suis leur 1ère salariée. Je les soulage un peu, ils font pareil pour moi. Ca va vite s'arréter, en même temps qu'eux. Un couple de la ville est entrain d'acheter. Jusque dans leurs regards j'entends les bruits des destructions.
Aujourd'hui et depuis presque 40 ans on ne paie pas, ou juste une fois par mois. Les gens rentrent, se servent. J'étais surprise au début de ne même pas devoir noter le dû sur un papier. Le lien social est un atôut pour la mémoire. Il suffit d'entourer le mot connaissance d'un trait de respect. Les clients ont vieilli avec le magasin. De vaillants fermiers que rien ne fait tordre, ils sont devenus courbés, à la démarche fragile, que l'achat quotidien d'un journal épuise. Leurs mains sont tremblantes, leurs regards mouillés, tant de fierté, de travail, pour quand même finir mourant, vieux, esseulés par la mort ou la vie la bas, à la modernité, là où les enfants ont du aller. Dans le temps c'était déjà pas bien vu de finir fermier. Le rang social exige les mains propres et les souliers venis.
En 1 mois j'ai fait 3 enterrements, 2 la semaine dernière. Les coeurs vides vous adoptent vite. Autour des cercueils j'ai vu les vautours appelés "petits enfants", du moins par mondanité. Les larmes de la normalité s'écrasant sur l'impatience des testaments. La mort du papi a enfin était une raison suffisante pour faire le déplacement.  A croire que mes concitoyens préfèrent embrasser des cercueils que des peaux ridées. Oui ils sont riches les vieux de mon bled. Très. Propriétaires. Terriens. Bcp. D'une campagne pas encore construite. Des maisons énormes, en pierre et en bois, et encore des terrains. De leur vivant rien n'auraient pu les en séparer. Pas par cupidité. Juste pour avoir quelque chose à donner à la descendance. Comme pour s'excuser de n'avoir été rien d'autres que paysans quand la vie se rêve en robe d'avocats, en blouse de médecin, ou costard 3 pièces de ceux qui dirigent le monde. Ca ne les rend pas moins fier des travaux accomplis. Ca fait si longtemps qu'ils ont compris qu'au final, ils n'y avaient qu'eux d'utiles.
Mais les vieux meurent plus vite que les jeunes. Alors ils vous disent le matin si la cloche a retentit la veille, pour une sépulture, l'affront est fait s'ils ne savent pas pour qui on sonne. Dans leur nécrologie je sens comme une espérance d'être le prochain, d'être celui qui fera bosser le cureton. Les problèmes du monde ils s'en fichent, les conneries du pape aussi. 85 ans passés, ils ont le luxe de la liberté, le luxe de ne plus être obligé de faire, de vivre, d'être. Ils ont fini le chemin, ce n'était qu'une impasse, celle qui rime avec trépasse. Ca les rends espiègles, la fatalité devient drôle. Il parait que la vieillesse apporte la sagesse. Je ne les trouve pas sages pourtant, justes lucides. Et ils meurent, l'un après l'autre. Les enfants sont à la retraite ici. Ils ont fait construire dans les prés de leur enfance après une vie pressée à la ville. Abattu l'arbre à balançoire pour y faire pousser une porte d'entrée fermée. Ils ne méritent plus d'être héritiers. Mais le petit fils, la petite fille, sortie de la fac ou d'une quelconque école qui met un + à bac auront la terre des ancêtres. Celles qu'ils n'ont jamais vu, jamais respirée, jamais travaillée. Une mention sur un papier suffit maintenant à labourer. L'héritage à l'échelle d'un village a le même résultat qu'à celui de la famille. La vente de celui-ci. Aux plus offrants, aux plus envieux. Mon bled se meurt en même temps que ses vieux. Mon village se vend en même temps que ses souvenirs et son identité. Des promoteurs en héritage, voilà la réalité.
On finira tous les jours par payer son journal. On ne parlera plus l'occitan, juste le mauvais français. Une future cité dortoire pour personnes somnanbules. Les phrases commenceront tragiquement par "avant il y avait". On vendra bcp plus de figaro. Les gens voudront refaire le monde, auront des opinions pour n'importe quel sondage, s'indigneront quand le pape dira des conneries monumentales alors que croire que marie est vierge t'enlève d'emblée toute crédibilité raisonnable. Jusqu'à ce qu'ils deviennent vieux à leur tour, avec rien d'autre à ceder qu'un possible bien immobilier sans histoire. Qu'importe ils en deviendront agréables. Agréable de voir enfin dans leurs yeux la conscience de leur inutilité, de leur ridiciule nature éphèmere. Mais avant leur arrogance citadine aura détruit la rurale simplicité. Mon village se meurt, tués par la norme de l'héritage et du rang social. Juste assez bien pour des vacances ou des nuits verrouillées sous les étoiles, volets fermés, un village où l'on vit les yeux fermés, sous exomil, dans la modernité. Un village aspiré par la ville, expiré dans ses canivaux. Un village où l'on paie son journal tous les jours. Un village où de toutes ces pierres tranférées, héritées, déposées, il n'en restera qu'une : la pierre tombale.

Publié dans RG

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I
j'habite aussi un de ces village... mais je n'ai pas tes mots, tendres et durs, pour le dire...superbe article...
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P
Beaucoup de vérité, hélas...Il reste quand même des personnes qui s'occupent de leurs parents, qui font leurs courses, qui vont les voir, chez eux ou dans une maison de retraite, chaque semaine, en se moquant bien de l'héritage.J'en connais quelques unes dans mon quartier et je les admire.Peu nombreuses, à vrai dire.
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L
Une chose nous rapproche... nous n'attendons pas d'héritages... Pas d'oncle d'Amérique, ni de papy en Rouergue...C'est très vrai, ce que tu écris, trés juste.La même chose se passe en ville. Les charognards se déchirent à l'ouverture des testaments et les enfants preferent, comme tu le dis si bien, baiser les cercueils...La propriété c'est le vol, disait l'autre ( je sais jamais si c'est Engels ou Bakoinine...). Rendre la propriété obligatoire, c'est un crime contre l'humanité...Bonne journée...
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